CITATION / INSPIRATION

CINQ MÉDITATIONS SUR LA MORT

François Cheng

“Chers amis, merci d’être venus, merci d’habiter cet espace d’accueil de vos présences. À cette heure fixée à l’avance, entre le jour et la nuit, nous nous sommes donc réunis. Et à partir de cet instant, le langage qui nous est commun va tisser un fil d’or entre nous, et tenter de donner le jour à une vérité qui soit partageable par tous.

Toutefois, pour peu que nous y réfléchissions, force nous est d’admettre que nous venons de loin. Chacun de nous est héritier d’une longue lignée, faite de générations qu’il ne connaît pas, et chacun a été déterminé par des liens de sang inextricables qu’il n’avait pas choisis. Rien n’impliquait que nous puissions avoir l’envie et la capacité d’être là ensemble, de trouver un sens quelconque à ce simple fait d’être ensemble, en ce lieu. N’est-il pas vrai que nous sommes perdus au cœur d’un univers énigmatique où, selon beaucoup, règne le pur hasard ? Pourquoi l’univers est-il là ? Nous ne le savons pas. Pourquoi la vie est-elle là ? Nous ne le savons pas. Pourquoi sommes-nous là ? Nous n’en savons rien, ou presque. Encore une fois, selon beaucoup, c’est par hasard que l’univers est un jour advenu. Au commencement, quelque chose d’extrêmement dense a explosé en milliards et milliards de débris. Beaucoup plus tard, c’est par hasard que sur un de ces débris la vie, un jour, est apparue. Rencontre improbable de quelques éléments chimiques, et hop, « cela » a pris ! Une fois le processus enclenché, « cela » pourtant n’a eu de cesse de pousser, de croître en volume et en complexité, de se transmettre et de se transformer, jusqu’à l’avènement des êtres que nous qualifions d’« humains ». Quelle importance ont ces derniers par rapport à l’existence gigantesque, pour ainsi dire sans limites, de l’univers ? Le débris sur lequel est apparue la vie est-il plus grand qu’un grain de sable au milieu d’innombrables autres débris ? Selon une vision répandue, un jour l’homme s’effacera, la vie elle-même s’effacera, sans laisser plus de trace qu’une croûte desséchée, sans que l’univers s’en rende même compte. Dans cette perspective, n’est-il pas un peu dérisoire, voire complètement ridicule, que nous nous prenions au sérieux, que nous nous réunissions ici ce soir, et que, doctement, nous nous proposions de méditer sur la mort, et par là sur la vie ?”

Julien Duval